Jordanie, nature et civilisation

La Jordanie recèle bien des trésors, aussi bien naturels qu'archéologiques, mais sa richesse, au moment où nous l'avons visitée en 2012, était aussi son capital humain. Une population ouverte et curieuse, éduquée, une société plutôt tolérante et accueillante, si on la compare à la plupart des pays voisins. Un pays qui avait développé de bonnes infrastructures touristiques, et dont les visiteurs pouvaient circuler librement.

Au moment où j'écris ces lignes, en mars 2020, je ne sais pas comment a évolué le pays, confronté à la tragédie syrienne et à tous les déséquilibres du moyen orient, ainsi qu'au fondamentalisme... Mais cela me donne encore plus envie de témoigner des merveilles qu'offre la Jordanie.


Les cités antiques de Jerash

et d'Umm Qeis

Jerash, fondée par deux généraux d'Alexandre le Grand

Aller à Jerash, c'est tutoyer la GRANDE HISTOIRE!

Tombée successivement sous influence nabatéenne puis romaine, son apogée se situe entre le 1er siècle avant JC et le 3ème s. après JC. Prise par les Arabes en 635, elle fut ensuite partiellement détruite par plusieurs séismes, et abandonnée à partir du 8ème siècle.

Le site est remarquable, en particulier les deux superbes théâtres!

Umm qeis (Gadara)

Contemporaine de Jerash, Gadara fut aussi abandonnée au 8ème siècle. Les Ottomans la sortirent de l'oubli au 16ème siècle... en lui prélevant des pierres pour construire un village.

Le site, plus modeste que Jerash, offre néanmoins de beaux panoramas, avec au loin Israël et la Syrie. Et le mélange de granit noir et de pierres blondes lui confère un charme mélancolique.


Les châteaux des Omeyyades

Qasr el Kharaneh et Qasr el Amra

Cap à l'est, direction l'Iraq, pour suivre une route qui va nous permettre de visiter les "châteaux du désert", qui datent de l'époque des Omeyyades, ces califes arabes qui dominèrent le monde musulman au 7ème et 8ème siècle après JC.

Les deux premiers "châteaux", Qasr el Kharaneh et Qasr Amra, étaient des "châteaux d'agrément":

- El Kharaneh, une villégiature, dotée d'appartements notamment destinés aux femmes pendant que les hommes étaient à la chasse,

- El Amra, un établissement de bains, orné de fresques représentant des figures humaines et des animaux, avant que l'Islam ne l'interdise. Que ces peintures soient parvenues jusqu'à nous est exceptionnel, car la plupart des représentations figuratives ont été vouées à la destruction.

Ces deux châteaux se dressent maintenant au milieu d'un désert de cailloux, mais il faut imaginer qu'il y a 1200 ans il s'agissait d'une zone giboyeuse, propice à la chasse, où les Omeyyades aimaient venir se détendre.

Qasr el Azraq

Qasr el Azaq est le troisième "château du désert", mais il est très différent des deux premiers, puisque c'est une forteresse. A l'origine romain, au 3ème siècle, c'est au 8ème siècle que les Omeyyades lui donnent sa forme actuelle, celle d'un fort à vocation militaire. Au coeur de la seule oasis de la région, le fortin permettait de contrôler le point d'eau ainsi que le Wadi Sirha, profonde vallée empruntée par les caravanes, qu'il fallait également garder contre les envahisseurs potentiels.

La structure est fascinante: en de nombreux endroits les pierres sont simplement empilées et encastrées les unes dans les autres, avec très peu de mortier. Le bois était déjà rare, et ce sont donc les pierres qui remplacent les habituelles poutres...


Madaba et environs (Mont Nebo, Maccheronte, Mer morte)

Madaba, cité accueillante et souriante

Madaba est un point de chute agréable pour les touristes: elle offre une position centrale pour accéder à un certain nombre de sites, elle est à taille humaine, on y circule facilement à pied comme en voiture (à la différence d'Amman) et elle possède elle-même un patrimoine intéressant, du fait de son riche passé byzantin.

En 2012, elle comptait encore une communauté chrétienne (catholiques et orthodoxes) vivant son culte en toute quiétude.

Le Mont Nébo et la mer morte

Après la Grande Histoire avec Alexandre-le-Grand, c'est la mythologie judéo-chrétienne qui s'invite dans notre voyage. Le mont Nébo est le lieu d'où Moïse aurait aperçu la terre promise, avant de mourir. Que l'on soit ou non croyant, se trouver ici est impressionnant. Nous sommes à 30 km de Jericho, à 50 km de Jerusalem et du mont des Oliviers, ainsi que de Bethléem...

Le paysage est sublime, presque irréel.

Au bout de la route qui descend du Mont Nébo vers l'ouest, se trouve la mer morte, bijou d'un bleu irréel ornant de délicats cristaux de sel les rochers qui la bordent...

Les rives de la mer morte accueillent de beaux complexes hôteliers. Il est très tentant d'y faire un plongeon, d'autant qu'il y fait très chaud (nous sommes à 400 mètres en dessous du niveau des mers). Mais avant de se plonger dans l'eau très salée et de se laisser flotter, il est recommandé de s'enduire consciencieusement de boue, pour se protéger du sel...

Une fois dans l'eau, la sensation est bizarre. L'eau est "dense", et il est impossible de nager puisqu'on flotte à la surface....selon son centre de gravité, il est même probable qu'on se retourne sans le vouloir... Le plus simple est d'adopter une position semi-assise, les bras écartés comme si on était assis dans un fauteuil.

Rappelons que la mer morte est en danger, son niveau baisse d'année en année, car sa principale source d'approvisionnement, le Jourdain, voit son débit très réduit par les prélèvements dont il fait l'objet par les Israéliens, au détriment des jordaniens.

Un projet a néanmoins été adopté en 2013 pour sauver la mer morte en creusant posant une canalisation depuis la mer rouge... mais pour l'instant, la mise en oeuvre n'a pas commencé. Le projet est porté conjointement par Israël, la Jordanie et les autorités palestiniennes...

Mukawir, l'antique Machéronte

Une route sinueuse traversant des paysages âpres mais de toute beauté nous conduit jusqu'à Mukawir. Là, en haut de cette grande colline désolée, se trouvent les vestiges de Machéronte, forteresse édifiée par Hérode le Grand, en surplomb de la mer morte.

Selon les évangiles, c'est ici que Saint-Jean-Baptiste fut emprisonné puis décapité, après que Salomé eût réclamé sa tête à son beau-père Hérode Antipas, en récompense de la danse des sept voiles qu'elle venait d'exécuter.

Mais ici et maintenant, c'est le plus grand calme qui règne. On entend juste de temps en temps un bêlement...

Non loin de Madaba, nous décidons de prendre une petite route en dehors de axes principaux. Nous serpentons jusqu'à un wadi (c'est le terme de la péninsule arabe pour ce qu'on connait sous le nom d'oued en Afrique du nord). Nous croisons des bédouins, les signes d'amitié sont spontanés, on se sent les bienvenus partout.

En revenant sur nos pas, nous allons jusqu'à un site peu connu, mais qui recèle un trésor: il s'agit du pavement presque intact d'une église chrétienne du 6ème siècle, totalement disparue, l'église Saint-Lot-et-Saint-Procope à Khirbet el Mukhayyat. C'est un agriculteur qui a mis au jour le pavement, et qui depuis s'improvise guide dans un anglais très approximatif, mais très sympathique. Un hangar a été aménagé pour protéger les mosaïques, qui sont très belles, montrant des scènes de vendange, de pêche et de chasse, représentant un pays d'abondance.



La Route des Rois, de Madaba à Petra

Cette route, qui compte parmi les plus belles au monde, nous vous proposons d'en présenter 3 temps forts:

- le spectaculaire Wadi Mujib,

- les châteaux des croisés

- le parc naturel de Dana,

Le Wadi Mujib

Le Mujib a creusé un immense canyon, que la route franchit en descendant par de grands lacets jusqu'au fond, avant de remonter... A cet endroit, le canyon est profond de plus d'un kilomètre. En haut, de l'autre côté du canyon, se trouve la tente bédouine-cafétéria de Samir. Profitez-en pour aller dans ses toilettes panoramiques: sans porte, elles vous permette en étant sur le trône d'être face à l'immensité du Wadi Mujib, en toute intimité...

Difficile d'imaginer que plus loin en aval, le canyon se rétrécit sous forme d'une gorge qui conduit le Mujib jusqu'à la mer morte, à 400 mètres en dessous du niveau des mers.

Les châteaux des Croisés

La route des rois vous permet d'accéder à deux châteaux forts édifiés par les Croisés aux XIIème siècle; au sud du Wadi Mujib, le Kerak de Moab, édifié en 1140, et au sud de Dana, le Krak de Montréal (appelé aussi Schawbak), construit en 1115.

Tous deux sont typiques de l'architecture des croisés, avec ses emprunts à la fois européens, byzantins et arabes. Le premier construit, le Krak de Montréal, permettait de contrôler les voies commerciales reliant l'Égypte, la Péninsule Arabique et la mer Rouge. Construit 25 ans plus tard, le Kerak de Moab était sensé renforcer la solidité du dispositif.

Conçus pour résister à de longs sièges, il furent l'un et l'autre conquis par Saladin après des sièges d'un an et demie à deux ans.

Ils devinrent par la suite des places fortes des Mamelouks, et bénéficièrent alors d'agrandissements ou d'ajouts défensifs. Dans leurs version la plus avancée, ils comptaient jusque 7 niveaux superposés (depuis les citernes jusqu'aux derniers étages).

C'est au 19ème siècle que leurs fortifications furent détruites, sur ordre d'Ibrahim Pacha, dans sa lutte contre les Ottomans: il voulait écarter le risque que ces forteresses puissent être un jour à nouveau contrôlées par l'ennemi.

Alors que le Kerak de Moab est intégré dans une agglomération, les ruines du Krak de Montréal se dressent toujours fièrement au sommet d'une colline, dominant plusieurs vallées asséchées au paysage désolé...

Le parc naturel de Dana

La réserve de Dana est une vaste zone qui englobe une partie de la chaîne de montagnes s'étendant du rift jordanien aux plaines désertiques du wadi araba.

La vallée de Dana s'étend depuis le village de Dana à l'est jusqu'à Feynan à l'ouest. Nous y avons effectué une délicieuse randonnée, accompagnés d'un guide local, au départ de Dana. C'était TOP !


Pétra, l'émerveillement

L'on risque toujours d'être déçu lorsque l'on se rend là où nos rêves nous ont précédés...

Et bien il n'en est rien ! L'émotion est bien là, lorsqu'on avance dans le Sîq, cet étroit défilé qui sert d'entrée au site, en guettant l'apparition progressive du Khasneh, le plus beau tombeau de Petra. Puis l'émotion et l'excitation laissent place à l'émerveillement lorsqu'en sortant du Sîq on se trouve au pied du Khasneh, et qu'on découvre l'ensemble de sa façade, ses reliefs délicats en symbiose avec les nuances de roses du grès dans lequel il est sculpté.

La plupart des touristes restent massés là et ne s'aventurent guère plus loin que dans les abords immédiats de l'entrée.

Tant pis pour eux, le site recèle tant de merveilles auxquelles il faut consacrer du temps (3 jours c'est bien) et quelques efforts hautement récompensés... gravir les marches inégales menant au haut-lieu d'El Madhbah, ou Jebbel Attuf, d'où on a de superbes vues plongeantes, ou encore monter les escaliers sans fin (des centaines, des milliers voire des millions de marches... à la fin on se sait plus...) menant au Deir, autre magnifique tombeau...

Mis à part un théâtre et quelques temples en ruine, Petra ne conserve de la grande cité nabatéenne qu'elle a été que ses tombeaux... Mais quels tombeaux ! Oh, ils ne sont pas aussi beaux que le Khasneh ou le Deir, mais le massif montagneux en est truffé. Quant à la nature de la roche, elle joue un rôle non négligeable dans la magie des lieux, avec ces dégradés de couleur incroyables, et ces nervures révélées par l'érosion.

A l'intérieur du tombeau, une simple salle sans aucune ornementation, et des niches pour y déposer les corps. Rien n'a été retrouvé du matériel funéraire, toutes les tombes ayant été pillées depuis belle lurette.


Créée au 8ème siècle avant JC par les Edonites, Petra fut occupée par les Nabatéens à partir du 5ème siècle avant JC.

Peuple de commerçants, ils la firent prospérer du fait de sa position sur la route des caravanes transportant l'encens, les épices et d'autres produits précieux entre l'Arabie du Sud, l'Égypte, la Syrie et la Méditerranée. Carrefour d'échanges, Petra intégra de multiples influences dans son architecture. A son apogée au début de l'ère chrétienne, Pétra abrita jusque 25 000 habitants.

Vers le VIIIe siècle, la modification des routes commerciales et des séismes entraîneront l'abandon progressif de la ville.

Au fil du temps, des bédouins s'installèrent sur le site. Les salles des tombeaux servaient de refuges en hiver, ou d'étables. Pour pouvoir nettoyer Petra et restaurer ce qui devait l'être, des villages ont été construits à l'extérieur du site, et les familles concernées se virent octroyer l'exclusivité de la vente de souvenirs et des balades en âne ou en dromadaire dans l'enceinte du site. Elles ont en outre toujours le droit de venir avec leurs chèvres.. Ces familles, qui étaient parmi les plus pauvres avant l'essor du site, ont pris leur revanche, ce qui n'est d'ailleurs pas sans déclencher de jalousie...

Wadi Rum,

ô temps suspends ton vol...

Le Wadi Rum a été LA révélation de ce voyage.

Cela a été une fantastique expérience. Nous sommes tombées sur une organisatrice légèrement timbrée, altermondialiste, non conventionnelle et très écolo. La formule qu'elle proposait réduisait au maximum l'empreinte sur le site: pas de camp de base 4*** équipé de douches et de toilettes, pour elle c'est une hérésie. Bref, on a vraiment campé rustique, et nous qui ne sommes pas des routards randonneurs avons vécu cela comme une parenthèse enchantée. Ces 3 jours de déambulation dans un paysage incroyable... ces 3 nuits à la belle étoile, un simple matelas posé sur le sol à l'abri d'un de ces énormes rochers qui semblent émerger du sable... restent gravés à jamais dans nos mémoires et nous font chaud au coeur.

L'impression d'être dans un rêve éveillé en permanence.



Aqaba, sur la Mer Rouge

Aqaba est une ville portuaire située au bord de la Mer Rouge. En face, se trouve Israël, avec le port d'Eilat, et l'Egypte, avec la ville de Taba. L'Arabie saoudite est également toute proche, à 30 km au sud.

C'est une petite ville agréable, et nous avons eu plaisir à nous y reposer et balader après nos 3 jours dans le désert. La fin du voyage approche déjà... C'est toujours le moment où une petite mélancolie s'installe..

El Ghela et le Wadi Hasa

Pour remonter à Amman, nous prenons l'autoroute qui longe la frontière palestinienne en suivant la vallée du rift du Jourdain. Nous longeons ainsi la mer morte, où nous passerons 2 jours dans un superbe palace.

Mais en chemin, dans le Wadi Arabah, nous faisons une excursion avec un guide bédouin dans un superbe petit désert, El Ghela, qui n'est pas encore intégré dans les itinéraires touristiques...

Et enfin, nous avons eu le plaisir de faire une petite séance improvisée de canyoning dans un lieu enchanteur, le Wadi Hasa, où l'eau coule en abondance toute l'année entre des falaises de grès rose. Ce qui était au départ une simple halte pique-nique est devenu une délicieuse balade !


Nous voici à la fin de notre voyage dans ce pays si beau, si intéressant et si accueillant. Toutes ces personnes que nous avons croisées n'ont-elles pas trop souffert de ces dernières années troublées ? Le moyen orient semble ne jamais devoir sortir de ce continuum de conflits... Comment la Jordanie, qui avait réussi à surnager tant bien que mal, s'en sort-elle ?